Quel modèle de société européen voulons-nous ?

Les institutions européennes sont un cadre, un contenant, un outil. Elles permettent aux nations de travailler ensemble, de se donner des règles communes, de définir une politique commune. Les politiques européennes définissent un contenu : des lois, des objectifs, des actions, qui ensemble aboutissent à un projet de société. La façon dont fonctionnent nos sociétés européennes, ce qui les caractérise, est plutôt du domaine du « référentiel », ce que l’on appelle le « modèle de société ». Y a-t-il un modèle de société européen, ou plusieurs avec un socle commun ? Quel modèle de société européen voulons-nous ?

L’expression « modèle de société » signifie deux choses :

1- D’une part la référence à un mode de fonctionnement de la société :

o       ses valeurs prioritaires (éthique, droits de l’homme, liberté de penser, de s’exprimer, d’entreprendre, respect et tolérance, protection des faibles,…) qui peuvent être clairement exprimées ou sous-jacentes dans l’expression du comportement social,

o       son organisation politique (démocratie, fédération de nations, gouvernance partagée avec principe de subsidiarité,…),

o       son organisation sociale (exercice de la solidarité collective par la redistribution fiscale, le niveau de protection sociale, les services publics).

2- D’autre part l’exemplarité, celle d’un système de valeurs et de fonctionnement qui peut être proposé comme modèle au monde. De sorte que cette organisation politique et sociale puisse être étendue mondialement, en espérant que les autres sociétés soient convaincues du bien fondé et de l’efficacité de ce modèle.

Il ne s’agit pas d’un « projet de société » qui se définit quant à lui dans l’action et dans l’avenir, avec des objectifs d’améliorations, des priorités d’action, pour passer d’un Etat à un autre de la société tant sur le plan économique que social et environnemental. Un projet de société peut consister notamment à faire évoluer ou changer profondément le modèle de société ! Dans ce cas, les actions envisagées sont plus structurelles, s’attaquent au cœur du système, à son moteur, à un changement de valeurs ou de priorités des valeurs, à des lois fondamentales du fonctionnement (par exemple passer d’une société capitaliste à une société socialiste, ou l’inverse, d’un système de dictature politique à une démocratie).

Quelles sont les caractéristiques du « modèle européen » ? En quoi est-il différent du modèle américain ?

Tout d’abord les nations d’Europe puisent dans leurs racines et leur histoire une culture et des valeurs qui forment un héritage commun : la Grèce antique, l’empire romain, le christianisme, les lumières, la république, sans oublier les parties plus sombres telles que le colonialisme et l’esclavage puis leur abrogation, les guerres sanglantes de religions ou guerres mondiales du XXème siècle puis les retours à la paix … Les Etats-Unis partagent cet héritage jusqu’à leur création puis l’incrémentent d’un autre qui leur est propre, fait de conquêtes de l’Ouest, de ruée vers l’or, de territoires, important dans la constitution de l’imaginaire collectif, l’entretien du rêve américain, du self-made-man, de la culture de la consommation, de même que dans le fonctionnement de l’économie.

On peut parler de « modèle de société  européen », dans la mesure où les Etats européens partagent en commun des valeurs, une histoire, une culture, un mode de gouvernance des Etats basé sur la démocratie,  un système économique basé sur le libre-échange et aussi un niveau de protection sociale et de services publics qui, s’il est encore inégal entre les Etats, converge de plus en plus pour assurer une solidarité entre les citoyens. Dans ce qui fonde notre modèle de société européen, il y a bien sûr les points de convergence entre nos sociétés, celles de chaque pays qui composent l’Europe, mais il y a aussi les valeurs et les règles de fonctionnement économiques et sociales que les pays ont décidé ensemble de graver dans le marbre pour leur communauté, constituant ainsi un acte de volonté dans la structuration d’un modèle commun, ainsi que les règles de solidarité entre Etats européens. Plus qu’un simple dénominateur commun entre les Etats, on observe bien un niveau supérieur de construction.

Si nous regardons les caractéristiques de fonctionnement social et économique, des différences notables peuvent être identifiées entre le modèle de société américain et le modèle européen (même si ce dernier comporte certaines variantes, notamment entre le modèle républicain français, le modèle rhénan allemand, le modèle nordique social démocrate avec sa flexisécurité,…) :

  • un niveau plus important de services publics, un rôle plus actif de l’Etat pour assurer une fonction de redistribution sociale et pour gérer des services publics,
  • une meilleure protection sociale (santé, retraites, chômage) à caractère obligatoire,
  • une école publique et des universités accessibles à tous, à frais d’inscription abordables,
  • de ce fait, des prélèvements obligatoires (impôts et cotisations sociales) supérieurs, pour financer les services publics et la protection sociale : peu plus de 50 % au Danemark et en Suède, 43% en France, de l’ordre de 35% en Allemagne et au Royaume Uni, contre de l’ordre de 25 % aux Etats-Unis.
  • un système de retraite par répartition (sauf dans des cas exceptionnels de l’Irlande ou du Royaume Uni), par opposition au système de retraite américain par capitalisation. Presque tous les pays européens ont un système de retraite par répartition obligatoire -basé sur des mécanismes de solidarité entre les générations – qui peut se présenter sous différentes formes, et auquel s’ajoutent d’autres systèmes, obligatoires ou non, générant des compléments de revenus individuels.
  • Un système plus soucieux de l’intérêt général et plus coopératif, par opposition à un système compétitif, que ce soit au niveau d’entreprises mutualistes, GIE (interbancarité française, banques et sociétés d’assurances mutuelles, coopératives agricoles …) ou au niveau européen, lorsque des entreprises ou des Etats mettent en commun des ressources pour œuvrer vers un objectif commun (EADS, Galileo, Ariane espace,…). L’Europe est en avance sur les autres pays quant aux initiatives visant la lutte contre le réchauffement climatique et les économies d’énergie, elle a signée les accords de Kyoto contrairement aux Etats-Unis. Ce qui constitue d’ailleurs un vrai scandale de la part d’un pays qui s’érige en arbitre de la planète dans bien des domaines, et refuse tout bonnement de s’appliquer à soi-même les préceptes qu’ils impose aux autres avec force leçons de morale.

Même si économiquement l’Europe fonctionne sur le principe du libre-échange, du libéralisme économique et de marché, elle a aussi des dispositifs de régulation. S’ils étaient insuffisants pour contenir les dérives (paradis fiscaux, dumping social, fiscal et environnemental des pays émergents,…), il faut œuvrer  pour leur amélioration et complémentation. Même si socialement il n’y a pas de salaire minimum européen, un niveau de services publics inégal selon des Etats européens, les pays de l’Union présentent en général un niveau assez élevé de protection sociale et de services publics. Les normes sociales dépendent du niveau de vie des Etats et doivent évoluer progressivement. Trop de rigidité risquerait de compromettre la solidarité.

Un modèle de société inachevé …

La construction européenne s’est réalisée au départ sur un projet commun coopératif, à la sortie de la seconde guerre mondiale, visant une garantie de la paix en Europe : la mise en commun du charbon et de l’acier. Les premiers promoteurs de l’Europe avaient en tête le « Plus jamais ça » à propos des guerres fratricides qui avaient déchiré le vieux continent. Progressivement, d’autres projets comme la PAC, l’euro, ont vu le jour et l’Europe s’est dotée de normes communes pour le bien de tous. Visant la prospérité économique, elle a surtout œuvré pour le libre échange et la stabilité financière. En revanche, elle n’a toujours pas mis en place de gouvernance économique commune, ni harmonisé une politique fiscale et sociale, ne s’est pas non plus doté de place financière boursière commune même en zone euro où les pays partagent la même monnaie. Elle n’a pas encore de véritable politique étrangère et défense communes, ni de siège commun dans les instances internationales comme l’ONU, la banque mondiale et le FMI. Elle n’a qu’un budget commun médiocre de 1% de son PIB, dont 40% consacrés à la PAC (Politique Agricole Commune), ce qui limite ses projets communs, ses investissements conjoints. Même pour faire face à la crise financière, elle n’a pas conçu de plan de relance à l’échelle européenne, ni émis d’emprunt européen.

Quelques initiatives récentes ont vu jour, pour aller vers une coordination budgétaire, vers une harmonisation fiscale de l’impôt sur les sociétés, ou encore créant un fonds d’intervention pour prêter aux pays fortement endettés (Grèce, Irlande). Un haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité a été nommé, Katrin Ashton, mais cette dernière est malheureusement très absente, très passive …

L’Europe paraît souffrir de trois maux dans son modèle :

1-        l’absence de réel projet commun, d’un objectif motivant tous les pays pour le bien commun, qui leur donne une direction et l’envie d’avancer. Toutes les initiatives européennes sont plutôt vécues comme des contraintes, en motivation négatives. A la différence du rêve américain, il n’y a pas de rêve européen, en tout cas de l’intérieur.

2-        une incohérence entre d’une part la conscience collective visant des objectifs communs pour servir l’intérêt général, notamment pour faire face au réchauffement climatique, à la pénurie des ressources, d’autre part les intérêts particuliers des Etats et des individus. Le chacun pour soi reprend le dessus, le donnant-donnant aussi (j’accepte de contribuer financièrement au budget européen si je reçois autant de l’Europe), je fais valoir mes intérêts même s’ils sont au détriment du voisin. L’absence d’harmonisation fiscale et sociale conduit à une concurrence commerciale déloyale et à des délocalisations intra-européennes dans un contexte de tension et d’incompréhension des citoyens.

3-        Une identité européenne mal définie, mal perçue par les citoyens : il ne suffit pas d’un drapeau, d’une devise et d’un hymne national, ou encore d’un passeport, pour forger une identité dans laquelle les citoyens se reconnaissent. Il faut plus. Il faut que les citoyens européens se sentent membres d’une même communauté de destin, adhèrent à des valeurs communes clairement exprimées, à des objectifs formant un projet commun, se sentent impliqués, responsables et partie prenante. Ce qui passe par un fonctionnement plus participatif, une information quotidienne, courante, sur les décisions à prendre pour l’Europe. Il faut faire « aimer » l’Europe. Or non seulement l’Europe paraît loin des citoyens, les décisions semblent être prises à leur insu, mais en plus les symboles identitaires du drapeau, de la devise, de l’hymne, ne sont même plus mentionnés dans le traité de Lisbonne …

En ces temps difficiles et graves de crise économique profonde, de crise des dettes européennes qui mettent l’euro en danger, des Etats sont tentés par le repli  et le protectionnisme, les citoyens sont inquiets et ont un besoin légitime de protection. Ils peuvent être sensibles à des discours populistes qui prônent une sortie de l’euro ou de l’Europe, dont les conséquences seraient catastrophiques, générant misère et inflation.

Il y a bien un modèle européen, avec des forces et des faiblesses. Les faiblesses de l’Europe, nous les connaissons et donc avec espoir et détermination, avec le soutien des citoyens, devons savoir les affronter. Il s’agit donc bien de poursuivre, de compléter l’achèvement de ce modèle européen et d’inscrire cet objectif dans un projet européen. Un modèle que nous souhaitons aussi exemplaire pour le monde.

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