Pour les prochaines élections européennes qui se dérouleront le 7 juin prochain est annoncé un taux d’abstention record, qui pourrait atteindre entre 60 et 65%, pire qu’en 2004 qui présentait déjà un record avec le taux de 57,5% d’abstention pour la France. L’Europe de l’Est n’est pas en reste avec un pronostic encore pire que celui de la France. Depuis 30 ans, les électeurs ont marqué un désintérêt croissant à l’égard du Parlement européen. Pourquoi et comment les intéresser à nouveau à l’Europe ?
1- Comme le dit Philip White, analyste au Centre pour les réformes européennes à Londres : « Beaucoup d’électeurs ne comprennent pas ce que fait le Parlement européen. Si ses pouvoirs ont été renforcés, ils portent surtout sur des problèmes relativement techniques – santé, télécoms – et non sur les impôts, le budget ou l’éducation qui importent beaucoup plus aux gens« . De plus, souligne-t-il, « aucun gouvernement n’est en jeu« . Et après l’avoir un temps envisagé, aucun parti n’a fait du choix du prochain président de la Commission européenne un véritable enjeu électoral.
2- Les gens ont l’impression que leur vote ne servira à rien. Au fond, que la majorité soit emportée par les conservateurs de droite ralliés au PPE ou par les socialistes et sociaux-démocrates du PSE, ils ont tous soutenus l’Europe libérale, la candidature de Barroso, et envisagent de le reconduire, ce qui est très étonnant vu son soutien constant à l’Europe libérale, le dogme de la concurrence sur les prix avant tout et sans tenir compte de la concurrence déloyale sociale et fiscale, souvent contre l’intérêt général et les services publics, son inaction pendant la crise, sa défense des intérêts de certains Etats plutôt que de l’intérêt général, son soutien à la guerre d’Irak en organisant la réunion aux Açores le 16 mars 2003 lorsqu’il était premier ministre du Portugal, à laquelle ont participé George W. Bush, Tony Blair et Maria Aznar. Rien n’a arrêté les délocalisations, au sein de l’UE et à l’extérieur, avec les pertes d’emplois qui s’ensuivent, la progression des inégalités, la spéculation financière sur le pétrole, les matières premières et même les denrées alimentaires et la guerre des prix dans un environnement mondialisé de libre échange et de concurrence acharnée, de plus en plus dérégulé, aggravant les souffrances des pays pauvres et des populations défavorisées, instaurant le règne du profit au bénéfice des puissances financières alors que les revenus et le pouvoir d’achat des classes moyennes a stagné. C’est bien cela que les gens ressentent et leur désespérance, au lieu de se traduire par une mobilisation, se manifeste par un boycott du vote. C’est aussi une façon de dire aux politiques « nous ne croyons plus en vous ».
C’est fort dommage, car cette réaction renforce l’abandon des décisions aux élites, souvent aux partis dominants, qui seront de toutes façons élues au Parlement. Elle délégitimise encore plus la représentation des citoyens au Parlement européen, alors même que cette institution bénéficie d’un scrutin particulièrement démocratique, entièrement à la proportionnelle, et d’un fonctionnement également très démocratique, avec délibérations, discussion entre les parlementaires des différents partis qui arrivent à s’entendre sur un consensus, mieux qu’au sein de notre Assemblée Nationale qui fait plus figure d’une chambre d’enregistrement des décisions gouvernementales.
Il faut rappeler aux citoyens français que plus de 60% des lois votées en France proviennent de l’Union européenne, sont des transpositions de directives européennes. Il faut également convenir que dans la mondialisation, les grands problèmes des défis climatique, énergétique, de l’accès à l’eau, de l’immigration et du développement des pays pauvres, du commerce international, des paradis fiscaux et de la régulation financière, des actions face à la crise financière et économique et bien d’autres encore, ne peuvent être résolus qu’à un niveau mondial, donc européen pour que l’Europe elle-même pèse dans le monde à l’OMC, au FMI, à la Banque Mondiale, etc.
Mais les gouvernements et les partis, ainsi que les médias et la presse, sont en grande partie responsables de ce désintérêt croissant des citoyens pour l’Europe. En effet, quelle information est relayée auprès des citoyens, entre les échéances électorales, sur l’activité du Parlement et de la Commission européenne, sur les décisions qui doivent s’y discuter ? Quel lien le citoyen entretient-il avec les députés européens élus de sa région pour pouvoir émettre un avis ? Quelle information est donnée et avec quelle transparence sur les lobbies qui participent à l’information et à l’influence qu’ils exercent sur la Commission et sur les parlementaires ?
Le citoyen averti, qui s’intéresse particulièrement au sujet, peut chercher l’information sur Internet, sur les sites de l’Union européenne, du Parlement européen et de la Commission européenne, sur le site de presse spécialisé Euractiv, sur le site de la Fondation Robert Schuman qui publie des études très intéressantes (pour ces deux derniers sites je recommande l’abonnement à la lettre d’info hebdomadaire par mail). Mais il faut du temps,… Certains partis diffusent à leurs adhérents au niveau régional ou national une lettre trimestrielle ou semestrielle de leurs parlementaires européens pour les informer des grands thèmes discutés et de la position de leur parti, des amendements défendus, mais cela reste assez rare.
Alors voici quelques idées pour rapprocher l’Europe des citoyens :
1- Commencer dès l’école, le collège et le lycée, à sensibiliser les jeunes à l’importance de l’Europe. Leur donner une conscience d’Europe et de citoyenneté européenne, en leur faisant d’abord comprendre les peuples européens au travers de leur histoire et de leur culture (comment comprendre l’atlantisme de certains pays européens de l’Est comme la Pologne, sans avoir compris leurs anciennes souffrances du temps de leur soumission à l’URSS ?), en rappelant l’idée initiale des pères fondateurs, Robert Schuman et Jean Monnet, de l’union des peuples d’Europe au lendemain de la guerre pour garantir la paix des peuples, mettant en commun le charbon et l’acier, matière première de la guerre, en expliquant les avancées réalisées depuis pour en arriver aujourd’hui à une intégration économique et monétaire, à la défense de droits de l’homme et au renoncement à la peine de mort, à la préservation de libertés individuelles, à une Cour de justice européenne …
En fournissant une explication des institutions européennes non limitée à retenir par coeur les définitions juridiques de ces institutions et le lieu où elles siègent et à quoi elles servent, mais pourquoi en quoi elles doivent fonctionner dans le sens de l’intérêt général des peuples et de la solidarité, en représentant ces peuples dans les décisions.
2- Obliger la presse nationale à une publication régulière, une fois par mois ou par trimestre, à publier une ou deux pages informant les citoyens sur les thèmes qui seront discutés dans les trois prochains mois, leurs enjeux, et leur permettre non seulement de s’informer mais aussi de réagir directement ou par l’intermédiaires de syndicats et d’associations pour interpeller leurs élus parlementaires européens, par courrier ou par internet. Informer en toute transparence les citoyens sur les lobbies, qui devraient être soumis à un enregistrement, un encadrement et à une régulation comme le suggère l’association Anticor aux partis concourant aux élections européennes (je recommande le soutien à cette association qui combat la corruption et oeuvre pour l’éthique politique).
Faire connaître la nouvelle chaîne parlementaire européenne EuroparlTV (voir article de Euractiv), avertir de ses programmes et y permettre la rediffusion des délibérations, notamment entre les ministres représentant le Conseil européen.
3- Généraliser un lien de communication public entre le député européen et les citoyens, par son site parlementaire nomduparlementaire.eu, les informant de ses positions, de ses actions, et permettant en retour de recueillir des avis, suggestions.
4- Proposer de proportionner le nombre d’élus députés au Parlement européen en fonction du taux de participation du pays au vote. Ainsi, si le taux est deux fois moindre que la moyenne européenne, le nombre de députés serait deux fois moindre. Cela motiverait peut-être les peuples, ainsi que les Etats dans leur communication sur l’Europe et l’importance de ces élections.
5- Permettre aux citoyens européens d’adhérer directement à un parti européen. Aujourd’hui, le PPE (Parti Populaire Européen), le PSE (Parti Socialiste Européen), le PDE (Parti Démocrate Européen), les Verts européens, etc., sont des partis auxquels adhèrent des parlementaires eux-mêmes issus de partis nationaux et non directement des citoyens. Une adhésion directe permettrait une légitimation citoyenne et un lien direct entre les peuples et des courants politiques de niveau européen.
6- Enfin garder les symboles (Hymne, devise, drapeau) qui renforce l’idée d’appartenance et de citoyenneté européenne, car les symboles sont important dans l’esprit collectif des peuples. Pourquoi ont-ils été supprimés du traité de Lisbonne, alors que les peuples ne le demandaient pas et y sont plutôt attachés ? Est-ce pour marquer par principe une différence de contenu avec le traité constitutionnel initial, afin de légitimer un nouveau traité et un nouveau vote, alors que le contenu principal est toujours aussi complexe et incompréhensible par les peuples ?
Ces propositions résultent de plusieurs débats et discussions citoyennes auxquels j’ai récemment participé au mois de mai sur ce thème lors de cafés démocrates consacrés à l’Europe.
Pour votre avis à tous.