À la veille des élections européennes, l’association « Les Marianne de la diversité » a organisé une soirée débat sur ce thème le mercredi 15 avril 2009 à la Maison de l’Europe, en coopération avec la Fondation Genshagen. Les Marianne souhaitent sensibiliser les citoyens à la diversité et à l’égalité des chances, enjeu majeur pour notre identité nationale et européenne.
Invités à débattre à la tribune : Pervenche BERES (Députée européenne, PS), Bernard LEHIDEUX (Député européen, Modem), Djamila SONZOGNI (Porte-parole nationale, Les Verts). L’UMP et le NPA n’ont malheureusement pas répondu à l’invitation.
Pour les interviewer, des personnalités issues de la société civile : Sihem HABCHI, Ni putes ni soumises, Amirouche LAIDI, Club Averroès et Dominique SOPO, SOS Racisme.
Le débat a été introduit par Catherine Lalumière, présidente de la maison de l’Europe, ancienne ministre, puis animé par Charlotte WIHANE, administratrice des Marianne de la diversité et Marc CHEB SUN, directeur de Respect Magazine. Fadila Mehal, présidente des Marianne de la diversité, a conclu la séance avec Klara Wyrzykowksa, de la fondation Genshagen.
Il serait difficile de rendre compte de toutes les questions et réponses de ce débat, tant elles furent nombreuses et riches en réactions, dans un temps trop limité pour pouvoir répondre aussi aux questions de l’assistance, mais que les invités à la tribune ont promis de traiter hors séance, par mail.
Essayons d’en retenir les points les plus marquants.
Le tour des questions …
Défense du droit des victimes
La représentante des Verts, Djamila SONZOGNI, très précise et concrète dans ses propositions, déplore que l’utilisation à foison des termes « égalité des chances » et « diversité » ne réponde pas aux problèmes de discriminations. Ce n’est pas simplement par des actions symboliques, telles que la réservation de places de quotas de jeunes issus de l’immigration dans les Grandes Ecoles que cela change grand-chose à la discrimination dans la société. Ses propositions :
– L’Etat et les services publics doivent en premier lieu montrer l’exemple. Ils concernent aujourd’hui pratiquement 50% des discriminations,
– Il faut commencer par supprimer les discriminations illégales : les emplois réservés à la nationalité française, comme par exemple les pompes funèbres, agent de nettoyage dans les collectivités locales,…
Les Verts défendent la citoyenneté de résidence, un droit de vote pour les étrangers résidant dans les pays de l’Union, la mise en place d’une carte de résident européen, la libre circulation des étrangers dans tout le territoire européen.
Pour Pervenche Beres, représentant le PS, la charte de la citoyenneté européenne doit s’appliquer à toute personne résidant dans le territoire européen. Elle espère que les actions de groupe, sur lesquelles un débat est aujourd’hui ouvert au Parlement européen avec la Commission sous l’aspect du droit des consommateurs dans le cadre du marché intérieur, seront étendues ensuite à la défense des victimes de discrimination.
Bernard Lehideux, représentant le MoDem, rappelle que la lutte contre les discriminations est un des thèmes sur lesquels l’Union a bien avancé, depuis son origine. Il reste néanmoins encore beaucoup de progrès à faire. Il est anormal aujourd’hui que la demande d’asile doive être examinée dans le pays d’accueil de l’immigré. Cette demande pourrait être élargie aux autres pays de l’Union.
La « directive retour » et la politique du chiffre
Pour Pervenche Beres du PS, il faut bien être conscient que sur de nombreux sujets touchant aux valeurs, les pays de l’Union partent de niveaux très différents et la définition d’une norme commune risque d’apparaître comme une régression. Par exemple sur des sujets où la France est plus en avance sur les autres. Pour beaucoup de pays (l’Italie, Chypre, la Hongrie), la directive retour apporte enfin une norme face au vide législatif national.
Ce qui la choque, c’est l’acceptation d’un marché intérieur où tout circule sauf les pauvres !
La faible représentation de la diversité dans les médias
Face aux questions adressées sur un ton de reproche aux Parlementaires européens sur le fait que des sujets ne paraissent pas être traités, comme la représentation de la diversité dans les médias, Bernard Lehideux rappelle que c’est la Commission européenne qui est à l’initiative des textes et que sur certains sujets, les dirigeants des Etats membres souhaitent garder leur capacité de décision au niveau national. Sur la presse et les médias, ils ont orienté les débats de niveau européen sur la concentration économique et l’indépendance de la presse, mais pas sur ce thème. Plus généralement, Bernard Lehideux pense que ce n’est pas l’établissement de quotas, qu’ils soient déterminés par les Etats ou par l’Union, qui règle le fond du problème de représentation de la diversité, quotas qui supposent des normes de fichage et des statistiques dont la mise en place peut être sujette à caution. C’est plutôt la pression de l’opinion sur les supports, qui impose un comportement visant à représenter les citoyens conformément à leurs attentes, qui doit infléchir naturellement cette représentativité.
Tout en ne s’affirmant pas favorable aux quotas visant à une « discrimination positive », dans les médias ou ailleurs, la représentante des Verts se déclare pour des statistiques ethniques afin de pouvoir rendre compte des discriminations d’une manière transparente.
Les violences faites aux femmes
Bernard Lehideux affirme que c’est bien au niveau européen que peut avancer un tel sujet. Le Parlement a déjà proposé des résolutions en la matière en janvier 2006, mais qui ne sont pas encore arrivées au texte législatif. Il déplore que la présidence française de l’Union n’ait établi que des lignes directrices sans être allée plus loin en termes législatifs.
Sur ces thèmes de la traite des femmes et des violences faites aux femmes, le PS soutient aussi des dispositions législatives.
Djamila SONZOGNI souligne les niveaux très inégaux en Europe en termes d’égalité homme-femme et de parité et parfois des régressions visibles, comme par exemple la Grande Bretagne qui revient à la séparation entre les filles et les garçons dans les écoles. Il faudrait instituer la clause de la Nation européenne la plus favorisée, nivelant les autres sur la meilleure.
Pervenche Beres fait remarquer que les débats sur la prostitution et la procréation divisent profondément non seulement les groupes politiques européens mais aussi les pays, qui ont des pratiques bien différentes, sur lesquelles le consensus est difficile. La religion vient souvent polluer le débat. La laïcité n’est pas une valeur reconnue au niveau européen. Pour s’en servir de vecteur d’émancipation pour la femme, il faudrait pouvoir déjà arriver à un consensus sur la laïcité. Pour Bernard Lehideux, la laïcité est en effet un point essentiel à défendre au niveau européen.
La politique étrangère de l’Union pour porter la défense de ces valeurs dans le monde
Bernard Lehideux rappelle tout en le déplorant qu’il n’y a aujourd’hui ni politique étrangère européenne ni politique de défense européenne. Il cite aussi l’exemple des relations de l’Union européenne avec les ACP (pays d’Afrique, Caraïbes et Pacifique signataires des accords de coopération, principalement des préférences tarifaires donnant accès à ces pays au marché) : à chaque fois que l’Europe a voulu sanctionner le dictateur du Congo, Robert Mugabe, les pays ACP ont refusé par solidarité. On ne peut aller contre le principe de souveraineté nationale, sauf à agir comme les Etats-Unis l’ont fait en Irak, par la guerre …
***
COMMENTAIRES EN SYNTHESE SUR L’IDENTITE EUROPENNE
Tout d’abord le thème lui-même peut paraître « accessoire » au quidam européen, face aux graves problèmes soulevés par la crise financière, économique, sociale qui secoue aujourd’hui l’Europe dans la mondialisation, ainsi que face aux grands défis écologique, énergétique et climatique qui menacent le monde. Et pourtant, le sujet n’est pas anecdotique et peut même être considéré essentiel pour construire cette Europe à ce point charnière auquel nous sommes arrivés. Car pour construire ensemble un tel projet, il faut s’accorder sur des valeurs communes et viser des objectifs communs, en acceptant un effort de solidarité, certaines concessions au bénéfice du groupe qui en retour, optimisent finalement le sort de chacun.
Des valeurs nous unissent dans notre diversité
Comme l’a rappelé Mme Lalumière, la construction européenne est née contre la barbarie, en réaction aux totalitarismes qui ont sévi après la crise financières des années trente (qui n’est pas sans rappeler le contexte actuel) : le nazisme, le stalinisme, les dictatures de Mussolini et de Franco.
La devise de l’Europe est « Unie dans la diversité ». Cette devise signifie que, au travers de l’Union européenne, les Européens unissent leurs efforts en faveur de la paix et de la prospérité, et que les nombreuses cultures, traditions et langues différentes que compte l’Europe constituent un atout pour le continent.
Le Conseil de l’Europe a toujours été sensible à ce qui portait atteinte à l’égalité entre les hommes. L’Europe est démocratique, tolérante et ne doit pas accepter la discrimination. Ces valeurs communes nous unissent et contribuent, par leur adhésion, à notre identité européenne, sans pour autant que cette identité supplante, ignore ou renie nos identités nationales et régionales. Elles sont simplement d’un autre niveau.
Mais subsistent des sujets de discordes sur certaines valeurs … Citons quelques points sur lesquels les pays ne sont pas tous au même niveau de culture ou de compréhension :
– la laïcité, valeur républicaine forte pour la France, mais pas pour d’autres pays comme la Grande Bretagne, qui s’accommode des communautarismes, ni la Pologne qui prône la valeur « chrétienne » comme une valeur d’Etat,
– la citoyenneté : droit du sang ou droit du sol ?
– les différentes formes d’atteinte à la vie, telles que le droit à l’avortement, l’euthanasie, la recherche sur les cellules souches, la procréation assistée, les mères porteuses, …
– la légalisation des drogues douces,
– la légalisation de la prostitution,
– …
Comment s’accorder sur ces points de divergence ? L’existence de ces divergences ne doivent pas empêcher la construction d’une identité européenne sur les points de convergence ainsi que la poursuite d’un débat et la recherche d’un consensus sur les points de divergence.
Manque d’identité européenne et risque de replis identitaires communautaristes ?
A l’heure où les identités culturelles, idéologiques et religieuses souffrent d’un délitement, où les citoyens ne font plus confiance aux politiques, délaissent de plus en plus les syndicats, boudent les élections, perdent leurs repères idéologiques et les traditions, où même la famille est désagrégée, recomposée, déstabilisée, ils peuvent être tentés par des réflexes identitaires très forts, par d’autres types de reconnaissance identitaire, telle que l’origine ethnique, la secte, une langue spécifique (langage des cités), des tatouages et des piercings, le retour à la religion sous une forme plus intégriste avec signes extérieurs de reconnaissance (foulard), … Gilles Lipovetsky l’a bien décrit dans son dernier essai sur « la culture monde ».
L’enjeu de l’Europe, dans ce contexte, est de proposer aux citoyens européens des valeurs dans lesquelles ils se reconnaissent et un projet de société pour lequel ils aient envie de mobiliser leur énergie, et développent vis-à-vis de leurs semblables un sentiment d’identité commune et de fraternité au travers de ce projet, de ce combat commun. C’est le sens de ce que prône Régis Debray dans son dernier livre « Le moment fraternité ».
Cette identité est à construire. Elle passe par les valeurs et le projet de société clairement exprimés et pour auxquels les citoyens adhèrent démocratiquement, non un modèle qui leur soit imposé par des technocrates dont le seul credo est le dogme de la concurrence et de l’efficacité du marché où ne règne que la loi du profit et du plus fort.