La politique européenne est parfois déconcertante, déroutante, prise au piège de ses contradictions. Au sein de la Commission européenne, des directions poursuivent des buts opposés, contradictoires, incohérents. Il est urgent de définir une véritable stratégie en Europe !
Voici deux exemples éclairants :
1- Sur les infrastrastructures de Place européennes
Par infrastructures de Place, je parle des bourses, des plates-formes de compensation de titres ou de paiements, des cartes bancaires …
D’un côté la DG Marché intérieur (Charlie McCreevy) oeuvre pour une Europe forte et efficace pour faire fonctionner les services communs aux Etats membres, bénéficiant d’économie d’échelle, afin d’avoir une véritable bourse européenne plutôt qu’un morcellement de bourses avec des redondances, une plate-forme générale pour la compensation des paiements, des virements, des paiements électroniques ou des cartes bancaires.
De l’autre côté la DG de la concurrence (Nelly Kroes), sous la pression des lobbies anglo-saxons, s’accroche au dogme dictatorial de la concurrence, tuant dans l’oeuf les initiatives de fusion, de rapprochement d’entreprises européennes ou la création de nouveaux services qui risqueraient d’avoir une position monopolistique. Appliquant ce dogme aux services communs tels que les bourses, les chambres de compensation, ces services « publics » (même si non nationalisés), communs aux Etats membres, elle empêche l’Europe de se doter d’outils et d’infrastructure forts et compétitifs.
Aujourd’hui, on se trouve devant des infrastructures boursières qui se font concurrences en Europe et faute d’être arrivé à conclure avec EUREX, Euronext a fusionné avec le NYSE, bourse américaine. LCH-Clearnet pour la compensation a un projet de fusion avec la DTCC américaine.
Il faut savoir que la plateforme centralisant les ordres européens passant aujourd’hui par Euronext sera aux Etats-Unis et que la structure holding étant établie aux Etats-Unis,c’est la loi américaine qui s’applique. Si les Etats-unis décident d’embargos sur des valeurs qui y sont négociées ou compensées ou sur des acteurs financiers clients de ces structures, l’Europe peut être fortement contrainte voire asphyxiée.
Dans la continuité de la fusion de ces bourses, notons le projet de fusion DTCC/LCH-Clearnet avec aussi des enjeux stratégiques sous-jacents : localisation physique de la plateforme de clearing aux Etats-Unis, sous une société de droit américain qui donc peut être soumise aux critères d’embargo ou de surveillance imposés par la loi américaine sur les valeurs qui y sont traitées ou les acteurs qui y opèrent.
Et même si l’Europe a une volonté politique et demande à la Commission concurrence de se mettre en veille sur des sujets stratégiques, ce n’est pas facile car les bourses ne sont plus des entreprises publiques. Les décisions ne peuvent pas se prendre uniquement par les Etats mais avec les actionnaires et la profession.
Autre exemple : celui de la compensation des paiements par cartes bancaires. Face aux géants américains VISA et Mastercard, il y avait encore un acteur européen, Carte Bleue. Les banques européennes ont entre elles un accord, pour que dans le cadre de retrait d’espèces par carte au DAB d’une autre banque que celle du client détenteur de la carte, la banque de ce client dédommage la banque détenant le DAB (subissant le coût d’entretien et de réapprovisionnement du DAB) d’une commission interbancaire (charge ensuite aux banques de répercuter le coût du service au client). Cette commission est gérée par le système de Place carte bleue. La DG concurrence n’y est pas favorable car elle considère une telle disposition comme relevant d’un cartel, d’une entente tarifaire entre les banques, contraire aux principes de concurrence et risque de l’interdire, compliquant la gestion du dispositif. Moralité, les banques européennes ont préféré laisser tomber le GIE Carte bleu, qui a été racheté par VISA. Et maintenant la DG Marché Interieur panique de voir que l’Europe n’a plus de structure en propre sur les cartes bancaires et a demandé aux banques d’en recréer une !!!
Le résultat de cette politique étant que ce sont souvent les américains (et pourquoi pas bientôt les Chinois !) qui reprennent des entreprises européennes.
De tels services publiques stratégiques devraient avoir une structure de type mutualiste (les actionnaires sont les clients, les banques européennes, comme ABE sur le clearing des paiements en euro) et une gouvernance impliquant les autorités européennes (sous contrôle du Parlement européen ?).
On a trop tendance à considérer ces infrastructures comme de la « tuyauterie » et uniquement sur une problématique industrielle d’amortissement de coûts d’investissement, de retour sur investissement exigés par des actionnaires (intérêts privés) de ces structures. Or il s’agit bien d’un enjeu stratégique et politique, pas seulement de questions commerciales privées. La bourse est un « service public ».
2- Sur les services d’investissement et de paiement
D’un côté la DG de la concurrence fait tout pour que de nouveaux acteurs fassent concurrence aux banques, que ce soit sur les services d’investissement (négociation/compensation de titres) ou les services de paiement (virements transfrontières, paiements par carte bancaire, paiements électronique). Elle encourage les nouveaux entrants qui font leur apparition dans le domaine des cartes et du crédit à la consommation (grande distribution), des opérateurs de transferts d’argent ayant initialement une activité postale (Western Union,…), opérateurs d’accès Internet ou opérateurs téléphoniques (développement des e-payments avec débit sur facture de l’opérateur notamment). Ainsi, ces nouveaux entrants bénéficient d’une autorisation d’exercice sur des activités de paiement et même de crédit sans pour autant être des banques, sous des conditions bien plus légères en termes de réglementation. La Directive européenne sur les Services de Paiements, dont la transposition doit être effective d’ici novembre 2009, en fixe les termes.
Ainsi on risque de développer de façon inconsidérée le crédit à la consommation et le surendettement auprès de populations fragiles, dans la même logique que ce qui s’estdéveloppé aux Etats-Unis (2500 milliards de dollars d’encours de crédit à la consommation par cartes bancaires, objets ensuite de titrisation et de revente toxique dans des fonds, … qui risquent de nous exploser à la figure comme les subprimes sur l’immobilier !). Ces entreprises n’étant pas soumises aux mêmes contraintes de fonds propres et de surveillance que les banques et n’étant pas des professionnels du risque. C’est une nouvelle bulle que nous a préparée la Commission européenne, alors qu’en même temps la crise nous appelle à revenir vers plus d’orthodoxie, vers un besoin de sécurisation.
Ces exemples démontrent qu’il est temps d’avoir une véritable stratégie européenne, ainsi qu’une réelle gouvernance économique, avec une vision globale cohérente, des objectifs clairs et coordonnés.